8. Qualités et défauts de la Barrière de l'Esseillon

Cet étrange ensemble architectural fut construit avec rigueur. Tout y a été réalisé avec beaucoup de soin.

Etonnante est la solidité des forts. Jusqu'à présent, dans ce climat rude, ils ont résisté aux années avec une aisance déconcertante.

« Le fort Marie-Christine présente même un luxe de solidité que sa position ne paraît pas justifier, et, plus que tout autre, il offre un développement de maçonnerie incroyable, surtout à l'étage inférieur » (Lieutenant Delambre)

Les fondations de tous les bâtiments sont établies à même le roc. Les hauteurs des voûtes varient entre quatre et six mètres. Celles-ci sont en général en plein cintre (courbure en demi-cercle) et quelquefois en anse à panier (courbure plus aplatie que la précédente). L'épaisseur des murs en façade varie de deux à quatre mètres !

Pourtant, ces forts de construction irréprochable, qui épousent si bien le site, présentent quelques défauts de conception.

Leurs faibles surfaces, par rapport au nombre de soldats et de bouches à feux, ont entraîné l'établissement de cours aux dimensions restreintes. Sous le feu ennemi, il aurait été impossible d'y circuler aisément. Surtout pour des transports de gros matériels. Et souvent, les rampes et les escaliers en occupent la plus grande place. Ces voies d'accés sont compliquées et obligent à un cheminement difficultueux. Les rampes sont raides. Les voûtes ne sont pas trés hautes. On imagine donc aisément des encombrements en cas d'attaque et de bombardement.

De plus, un défaut commun à tous les forts en maçonnerie provient de la nature même de la construction. Les embrasures, lorsqu'elles ont été endommagées par le feu ennemi, ne peuvent être remises en état durant la nuit, le délai étant insuffisant. Cela entraîne pour les défenseurs une situation d'infériorité face aux batteries de l'assaillant.

De telles faiblesses auraient-elles pu être utilisées par l'ennemi, en cas d'attaque ? Un témoignage d'importance a été donné par le Lieutenant Delambre, du deuxième régiment du Génie, de Montpellier, qui en 1859 étudia - on pourrait même écrire espionna - les forts de l'Esseillon. Ceux-ci, rappelons-le, se trouvaient à l'époque en territoire étranger - donc ennemi.

Cet officier fit un relevé précis des fortifications et prépara un plan d'attaque possible.

La solution, selon lui, n'était pas de parvenir à éteindre le feu des édifices bâtis sur le contrefort - Victor-Emmanuel, Charles-Félix et Marie-Christine-, mais de forcer le passage soit du côté de Charles-Albert, soit du côté de Marie-Thérèse.

« Ce sont là, écrivit-il, les principales difficultés de l'attaque des forts de l'Esseillon. »

Il proposait d'isoler la redoute Marie-Thérèse en coupant ses moyens de communication avec la rive droite, et d'installer une batterie sur une position dominante, pour attaquer la caserne du pont tournant et tenter de nuit un passage forcé.

Les circonstances ne permirent pas de vérifier ces théories par la pratique : en 1860, la Savoie devint française. Un tunnel, percé quelques années plus tard, permettait d'éviter le passage par le Mont-Cenis.



Cette extravagante création défensive, où d'imposantes forces guerrières avaient tenu garnison, n'avait servi à rien. La réalité est, là encore, semblable à la fiction. Dans son roman, évoquant une forteresse imaginaire, Dino Buzzati n'écrivit-il pas : « Dans ce fort, le formalisme militaire semblait avoir créé un chef-d'ouvre insensé. Des centaines d'hommes pour garder un col par lequel ne passerait personne . ».

(Les citations du lieutenant Delambre, reproduites dans le présent texte, sont extraites du « Mémoire sur le lever des forts de l'Esseillon », rédigé en 1859.



Sommaire

-. Présentation

1. Une architecture et un site romanesques

2. Sur la route du Mont-Cenis

3. Petite histoire des fortifications

4. Petite histoire de la Savoie

5. La construction des forts de l'Esseillon

6. Victor-Emmanuel, Charles-Félix, Charles-Albert, Marie-Christine et Marie-Thérèse

7. Le site et l'architecture

8. Qualités et défauts de la Barrière de l'Esseillon

9. Depuis 1860

10. Aujourd'hui et demain