3. Petite histoire des fortifications

Face à un monde hostile, les hommes ont toujours cherché à se protéger contre d'éventuelles agressions, qu'elles viennent d'animaux, de tribus ou de groupes ennemis, à moins que ce ne soit d'esprits malveillants nés de l'imagination.

Palissades de bois, fossés, piéges, recherches de lieux naturels facilement défendables - îles, sommets d'escarpements, etc . - furent les premières manifestations de ce désir de sécurité.

Avec l'installation des villes, les murailles se révélérent indispensables. Leur efficacité protectrice dépendait de leur épaisseur et de leur hauteur. Toutefois, jusqu'à l'apparition de la poudre au milieu du XIVe siécle, la défense fut souvent en état d'infériorité par rapport à l'assaillant.

Les citadins se contentaient de jeter ou de lancer divers projectiles du haut de la muraille : pierres, morceaux de rochers, fléches. Ils déversaient aussi sur l'ennemi de l'huile ou de la poix bouillantes. Les assaillants, en revanche, outre qu'ils pouvaient affamer la ville, utilisaient des balistes, catapultes, mangonneaux, trébuchets qui, placés à l'abri ou pouvant être déplacés, s'attaquaient tout à loisir à la zone adverse. Il était aussi possible, pour les attaquants, d'avancer jusqu'aux remparts à l'abri d'énormes tours roulantes.

La poix est une matière visqueuse et résineuse tirée du pin et du sapin.

Une baliste est une machine de guerre utilisée depuis la plus haute antiquité. S'apparentant à une énorme arbaléte, cet engin servait à lancer des traits et des boulets de pierre ou plomb. On enduisait quelquefois les traits des balistes de matières enflammées.

Un mangonneau est une machine de guerre servant à lancer des pierres ou des traits. Elle se composait d'une bascule à deux bras inégaux : l'un était muni d'un panier pour le projectile, l'autre donnait l'impulsion à l'aide de poids et de cordages.

Vers le milieu du XIVe siécle, l'introduction de la poudre en Europe permit de lancer des boulets de pierre. L'artillerie naissante donna l'avantage à la défense qui possédait des chambres de tir où étaient protégés les servants des bombardes et canons. La portée de ceux-ci, en position dominante, étant plus grande et le tir plus précis, l'équilibre attaque-défense fut rétabli.

La mise en service du boulet métallique par les fréres Bureau, maîtres de l'artillerie sous Charles VII, détruisit à nouveau, au profit de l'attaque, ce fragile équilibre.

Les murailles résistaient mal à l'impact des projectiles de fer ou de plomb, beaucoup plus destructeurs que ceux en pierre.

L'exploitation de cette invention explique, pour une large part, les victoires françaises en Italie, à cette époque.

Premières victimes, les Italiens cherchérent un moyen de protection. Ils se tournérent vers le système romain du mur remparé, formé de pierrailles alternées avec des briques.

Les remparts « à l'italienne » étaient constitués par une épaisseur de terre maçonnée de chaque côté. On damait la terre par couches alternées avec des fascines (fagot serré de branchages), afin d'assurer la solidité de l'ensemble. Au cours des attaques, la maçonnerie ébranlée par la canonnade pouvait s'effondrer : la terre restait en place.

Ce genre de fortification était précédé d'un fossé, pour éviter que les assaillants n'utilisent les éboulements de pierre et parviennent à escalader les remparts.

Un tel système fit ses preuves. Il fut adopté par les ingénieurs et architectes militaires de Henri IV et de Louis XIII.

Au XVIIe siécle, l'art de la fortification vit le triomphe des méthodes de Vauban. Il dirigea 53 sièges, fortifia les frontières françaises, édifia 33 places fortes et en répara plus de 300. Sa vie durant, Vauban perfectionna les fortifications en terrain plat.

Avec lui, les fossés s'approfondissent, les tours et les murailles s'abaissent, les terres qui proviennent des fouilles sont utilisées pour renforcer les murs. Les bouches à feu sont installées sur les plates-formes. Le probléme du flanquement est résolu par le tracé bastionné porté à un trés haut point de perfection.

Les enceintes bastionnées de Vauban étaient caractérisées par leur profil rasant. Ce n'est qu'au fur et à mesure de son avance que l'attaquant découvrait la demi-lune (ouvrage avancé triangulaire), le fossé, le bastion (ouvrage de fortification qui fait saillie sur une enceinte), sa face abrupte et son flanc, la courtine et enfin l'emplacement des batteries.

Malheureusement, dans ces fortifications, l'artillerie était mal protégée, ce qui créait une faiblesse considérable.

Les défenses de Vauban, dont les grandes qualités séduisirent l'Europe entière, ne furent pas invulnérables : Vauban assiègea un certain nombre de places fortes construites par lui et sortit toujours victorieux !



Les points faibles des fortifications « à la Vauban » furent mis en évidence par Montalembert qui proposa un système de fortifications perpendiculaires et polygonales.

Montalembert naquit à Angoulême en 1714. Il mourut à Paris en 1800. après de brillantes études il entra dans l'armée, participa aux campagnes d'Allemagne (1733-1734), puis celles de Bohême et d'Italie (1742).

Homme extrêmement brillant, il entra en 1747, en tant que membre associé, à l'Académie des Sciences de Paris. Pendant plusieurs années il étudia l'art des fortifications. En même temps, il fit installer à Ruelle, près d'Angoulême, d'importantes forges pour fabriquer du matériel militaire.

Lors de la guerre de Sept ans, Montalembert fut attaché à l'état-major des armées suédoise et russe. En 1761, il parvint au grade de maréchal de camp. C'est vers cette époque qu'il commença de rédiger son ouvrage sur « La Fortification Perpendiculaire » ; une fois publié, celui-ci ne faisait pas moins de onze volumes !

Les théories qu'il y développait étaient souvent en opposition avec celles émises par Vauban, quelques dizaines d'années plus tôt. Cer dernières restant toujours la doctrine officielle, une polémique s'engagea entre Montalembert et les dirigeants du corps du génie français. Néanmoins, on le chargea en 1779 de fortifier, selon son système, l'île d'Aix (dans l'océan Atlantique, non loin de l'embouchure de la Charente), île qui résista ensuite victorieusement aux attaques anglaises.

Montalembert critiquait les ouvrages de Vauban sur des points particuliers : danger de l'attaque par les flancs, enceinte sans profondeur et situé trop près des habitations, pour les mettre à l'abri de l'artillerie assiègeante, bouches à feu dispersées sur les remparts, trop exposées au feu ennemi.

L'idée principale de Montalembert consistait à diminuer les directions d'attaque. La ville devait être enfermée dans un polygone (surface délimitée par des portions de droite) à angles droits. L'assaillant se trouvait ainsi face aux défenseurs et n'avait plus la possibilité de les attaquer de flanc.

Il proposait de compléter les fortifications principales par une ligne de défense extérieure constituée de forts détachés se flanquant mutuellement et où étaient concentrés tous les moyens de défense, dont l'artillerie.

Ce système nécessitait un trés grand nombre d'hommes disponibles et surtout des constructions extrêmement résistantes. Pour protéger l'artillerie, à laquelle il donnait un rôle de premier plan, il fut amené à bâtir en hauteur des ouvrages percés d'embrasures appelés tours à canon.

En France, ces nouvelles théories furent rejetées. Elles parurent rétrogrades : adopter la tour à canons, c'était revenir au Moyen Age ! après s'être efforcés, depuis 1450, de cacher les fortifications à l'artillerie ennemie, les ingénieurs militaires ne pouvaient accepter l'idée de les rendre visibles .

Les idées de Montalembert trouvérent audience à l'étranger, surtout à partir de 1815, en Allemagne et en Autriche, lorsqu'on organisa la défense des nouvelles frontières. En effet, quand l'évolution de l'armement permit d'obtenir des portées plus longues et une plus grande précision, il fut nécessaire de repousser à des distances plus grandes les forces assiègeantes et d'édifier de véritables places à forts détachés.

Signalons une des réussites des ingénieurs militaires autrichiens : ils édifièrent autour de la cité de Linz, sur le Danube, une série de fortifications de 6 000 mètres de diamétre complétées par 32 tours, dites maximiliennes, du nom de l'archiduc Maximilien qui avait travaillé à leur conception.

Les Sardes s'inspirérent donc des idées de Montalembert pour construire les forts de l'Esseillon.

C'est surtout avec eux que s'exprima la notion de liaison défensive assurée par les feux des différents ouvrages fortifiés et séparés. Cette théorie pouvait s'appliquer à la défense des places, de même qu'à l'établissement de barrages dans des secteurs frontaliers, tels que la Savoie, à l'époque région tampon entre la France et la péninsule italienne.

L'existence de Montalembert côtoya quelque peu celle de l'un des plus grands écrivains français : Choderlos de Laclos, l'auteur des célébres « Liaisons dangereuses ».

Laclos était officier d'artillerie. Durant le XVIIIe siécle, les artilleurs exécutaient fréquemment des tâches qui, de nos jours, sont réservées aux unités du génie. De ce fait, sous les ordres de Montalembert, Laclos travailla aux fortifications de l'île d'Aix et de l'île de Ré. Il ne semble pas que cette occupation ait enchanté l'écrivain. Sans doute est-ce vers cette époque qu'il eut l'idée de son roman. Tilly, dans ses « Mémoires », écrit que Laclos lui aurait confié à Londres, en 1790 : « Après avoir étudié un métier qui ne devait me mener ni à un grand avancement ni à une grande considération, je résolus de faire un ouvrage qui sortît de la route ordinaire, qui fît du bruit et qui retentît encore sur la terre quand j'y aurais passé ».

Parues au mois de mars 1782, « Les Liaisons dangereuses » furent un succés et un scandale. La carrière militaire de Laclos en souffrit. En mai, l'écrivain reçut de ses supérieurs irrités l'ordre de rejoindre son régiment, à Brest, mais l'intervention de Montalembert lui permit de rester affecté à la Rochelle.

Choderlos de Laclos ne devait plus connaître d'autres réussites littéraires. Il commença de rédiger un mémoire, en vue de concourir à un prix de l'Académie de Châlons. Le sujet en était « Quels seraient les moyens de perfectionner l'éducation des femmes ? ». Découvrit-il que le probléme était d'une ampleur désespérée, ou pis, sans solution possible, toujours est-il que cette ouvre resta inachevée .

Il allait pourtant, par un autre écrit, provoquer un nouveau scandale. L'ampleur en fut moindre, puisque limitée aux milieux militaires. Il s'agissait d'un opuscule sur Vauban.

Mettant en valeur les théories de son protecteur, le marquis Marc-René de Montalembert, Laclos s'en prit violemment à celles de Vauban, critiquant ses fortifications où il avait « enterré des millions avec une effrayante prodigalité, pour élever d'une main les mêmes places qu'il renversait de l'autre si facilement ». Cette allusion aux places fortes édifiées par le maréchal de Louis XIV, puis conquises par lui une fois la situation politique changée, cette allusion et d'autres critiques aussi grinçantes valurent à leur auteur un blâme sévére. Mais, cette fois-ci, on ne pouvait plus l'accuser de perversion morale !



Sommaire

-. Présentation

1. Une architecture et un site romanesques

2. Sur la route du Mont-Cenis

3. Petite histoire des fortifications

4. Petite histoire de la Savoie

5. La construction des forts de l'Esseillon

6. Victor-Emmanuel, Charles-Félix, Charles-Albert, Marie-Christine et Marie-Thérèse

7. Le site et l'architecture

8. Qualités et défauts de la Barrière de l'Esseillon

9. Depuis 1860

10. Aujourd'hui et demain