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Le Chantier de Bénévoles Les Forts de l'Esseillon C'est Où? Photos Via Ferrata


Retournements de situation

A l'issue des guerres napoléoniennes, les Etats coalisés autour de l'Autriche décidérent de tout mettre en œuvre pour éviter le retour des troupes françaises au cœur de l'Europe. Le Prince de Metternich imposa la mise en œuvre d'une véritable zone de protection autour des frontiéres orientales de la France : la Baviére, la Suisse et le Royaume de Piémont-Sardaigne constituérent du Nord au Sud une chaîne de trois " Etats-tampons ", destinés à protéger l'Europe continentale d'une éventuelle incursion française.

Afin de parfaire la zone méridionale de ce dispositif, la construction d'un ensemble défensif fut décidée en aval du col du Mont-Cenis, sur la principale voie de passage entre la France et le Piémont. Un imposant systéme de fortifications, composé de quatre forts et d'une redoute, fut édifié sur la Barrière rocheuse de l'Esseillon, entre les villages d'Avrieux et d'Aussois. La construction de cet ensemble, financée par les indemnités de guerre française, s'échelonna de 1820 à 1833. En 1828, lors de l'installation de la premiére garnison, on attribua aux différents ouvrages le nom de l'un des membres de la famille royale sarde : Marie-Thérèse, Victor Emmanuel, Charles-Félix, Marie-Christine et Charles-Albert.

Jusqu'en 1860, plusieurs périodes de tensions entre le Piémont et la France entraînérent le renforcement du dispositif, dont la garnison comptait encore huit cents hommes en 1840. Cette situation prit définitivement fin en 1848, lorsque la guerre austro-piémontaise entraîna le retournement des alliances à l'intérieur de l'Europe : la France passait désormais du statut d'ennemi potentiel à celui d'allié du Piémont, et l'Esseillon n'eut jamais à subir l'épreuve du feu.

En 1860, lors du rattachement de la Savoie à la France, Napoléon III s'engagea à détruire l'ensemble des forts, qui auraient pu être retournés contre l'Italie naissante. Le fort Charles-Félix fut symboliquement détruit … et les autres forts furent soigneusement conservés et occupés par l'armée française.

Le président Félix Faure passa trois jours à l'Esseillon en 1897. Puis vinrent les années de guerre : en 1914-1918, après l'annonce de la neutralité italienne, l'Esseillon servira de dépôt et de campement. A l'issue des durs combats de 1940 et de 1944, le site sera progressivement abandonné par l'armée, et laissé sans entretien pendant près d'un quart de siécle. Le rachat progressif des forts et des terrains attenants par les communes d'Aussois et d'Avrieux, à partir de 1975, marque le début d'un processus de sauvetage et de mise en valeur en entamé aujourd'hui, mais dont la mise en œuvre s'étendra encore sur de longues années.

 

Un site, une stratégie

L'ensemble fortifié de l'Esseillon se rattache aux conceptions du général marquis de Montalembert (1714-1800), dont les théories rejetées en France, connurent un large succés dans toute l'Europe centrale au XIXe siécle. Les théories de Montalembert s'opposaient à celles de Vauban, dont le systéme de défense reposait sur la mise en œuvre d'un ensemble complexe de fortifications rasantes, composé de cortines flanquées de bastions, avec un échelonnement des défenses en profondeur destiné à éloigner les batteries assaillantes du corps de place ; les pièces d'artilleries étaient disposés horizontalement, à l'air libre, masquées par des parapets de terre.

Montalembert préconisait quant à lui :
- l'abandon des tracés bastionnés au profit d'ouvrages polygonaux plus simples, dont les courtines sont toujours perpendiculaires aux lignes de tir ;
- la concentration du maximum de feux dans un espace réduit, donc facile à défendre, où les batteries sont superposées sur plusieurs niveaux ;
- la protection des pièces d'artillerie dans des tours à canon, composées de casemates voùtées aux murs trés épais ;
- la constitution d'ensembles fortifiés composés d'ouvrages détachés, se protégeant les uns les autres par flanquement réciproque.

La Barrière rocheuse de l'Esseillon constituait un obstacle naturel parfaitement adapté au verrouillage de la vallée de l'Arc dans le sens France-Italie : front rocheux abrupt sans positions surplombantes du côté ouest, glacis facile d'accés du côté est. La topographie du terrain premettait d'assurer un contrôle pratiquement total des voies d'accés au Mont-Cenis, qu'il s'agisse du chemin muletier médiaval passant par Avrieux et Aussois ou de la route "moderne" du fond de vallée.

Le systéme défensif de l'Esseillon est bien entendu dirigé vers la France : les accés sont orientés à l'est, sous le couvert des forts, et les embrasures de tir sont orientées en priorité vers l'ouest. Deux redoutes pratiquement autonomes - Marie-Chritine et Marie-Thérèse - assurent le verrouillage du passage aux deux extrémités du dispositif ; au centre, le fort Victor-Emmanuel abrite le commandement, le casernement et l'ensemble des services d'intendance. Les hauteurs surplombantes voisines sont ccupés par des ouvrages d'importances secondaires - Charles-Félix et Charles-Albert - qui couvrent respectivement les glacis de Victor-Emmanuel et Marie-Christine.

Les bâtiments appartiennent à un type de casernes "à l'épreuve de la bombe" trés utilisé dans toute l'Europe occidentale après 1815 : Ils sont composés pour la plupart de casemates voùtées, composées sur une trame répétitive, superposées sur deux niveaux couverts d'une terrasse. Les toitures en lauzes ne constituaient en quelque sorte qu'un "parapluie" destiné à garantir la mise hors d'eau de l'ouvrage en temps de paix; en cas d'ataque, la toiture démontée ou détruite pouvait rapidement disparaître pour laisser place aux mortiers ou à l'artilleire légére installée sur la terrasse, recouverte d'un épais blindage de terre.

 

Victor-Emmanuel

Le Fort Victor-Emmanuel, construit entre 1820 et 1828, est le plus vaste ouvrage de la chaîne fortifiée : il couvrait de ses feux la redoute Marie-Thérèse et la route du Mont-Cenis, et abritait la plus grande partie des casernements, ainsi que tous les services annexes nécessaires à la vie d'une garnison de 1500 hommes : chapelle, hôpital, cuisines … Cet ensemble fut complété, dés 1833, par l'installation d'un pénitencier, essentiellement destiné à l'incarcération des opposants politiques à la monarchie sarde.

Les bâtiments s'échelonnent sur cent mètres de dénivelé. Ils sont protégés au sud, à l'ouest et au nord par les escarpements naturels du terrain, à l'est par un large fossé creusé dans l'épaisseur du rocher.
Dix bâtiments séparés par d'étroites plate-formes, se succédent de bas en haut du fort ; ils sont reliés par un double systéme de circulation qui traverse les constructions de part en part : escalier pour les hommes, rampes pour le matériel tiré par des mules.

Cet ouvrage spectaculaire est celui qui pose les plus graves problémes de conservation, tant en raison de ces dimensions que de ces difficultés d'accés. Depuis son abandon par l'armée, à l'issue de la derniére guerre, les ouvrages n'ont cessé de se dégrader : les toitures à demi-effondrées laissaient s'accumuler neige et pluie sue les voùtes des casernements, et les ouvrages de maçonnerie, minés par les intempéries et le gel, commencaient à s'effonfrer par pans entiers, mettant directement en péril la sécurité des visiteurs.

L'ampleur de cet ensemble et l'absence de tout projet de réutilisation crédible semblent exclure à court terme une véritable opération de restauration du monument : c'estpourquoi il a été décidé, dans un premier temps, de limiter les interventions à la consolidation des ouvrages de maçonnerie les plus instables (remparts extérieurs, rampes de circulation) et à la mise hos d'eau de l'ensemble des bâtiments, de façon à préserver l'avenir de cet ouvrage exceptionnel tout en le laissant ouvert à la visite dans des conditions de sécurité acceptables.

 

Marie-Thérèse

La Redoute Marie-Thérèse, située à l'extrémité basse du dispositif fortifié, fut le premier ouvrage terminé : sa construction s'acheva en 1825, alors que les autres forts étaient encore en chantier. Le rôle de la redoute consistait à contrôler la route du Mont-Cenis, séparée de la Barrière rocheuse et des autres forts par les gorges de l'Arc. Malgré ses dimensions modestes et sa simplicité géométrique, la redoute est un ouvrage complexe, conçu pour fonctionner de façon pratiquement indépendante : il n'est en effet relié au fort Victor-Emmanuel que par le fragile " Pont du Diable ", malaisé d'accés, et par un monte-charge de service franchissant les gorges. La garnison de la redoute devait donc, en cas de siége, se suffire à elle-même, tout en assurant le verrouillage du fond de vallée.

Le bâtiment, dégagé par un large glacis du côté de la route, est isolé au centre d'un fossé sec. La partie convexe du fer à cheval, qui n'était percée à l'origine que de meurtriéres trés serrées et de bouches à feu, couvre la route et le virage du pont du Nant suivant un angle de 180°. L'entrée était placée du côté nord, sous la protection des feux de Victor-Emmanuel. Le bâtiment comporte trois niveaux, dont deux " à l'épreuve de la bombe " : le rez-de-chaussée était affecté au stockage des munitions, des provisions et au cantonnement de la garnison, le premier étage était réservé aux pièces d'artillerie. Le dernier niveau, comme sur les forts voisins, est constitué d'une terrasse accessible, recouverte d'un blindage de terre et protégée par une toiture de lauzes.

 

Marie-Christine

Le Fort Marie-Christine est placé au sommet de l'ensemble fortifié, à proximité du village d'Aussois : conçu suivant un plan hexagonal autour d'une cour centrale, il est entouré d'un chemin de ronde limité par une enceinte extérieure composée d'un mur de courtine, de trois bastions et d'un fossé partiel. Il était relié au fort Charles-Albert par une tranchée en crémaillére qui n'existe plus qu'à l'état de vestiges.

En 1972, une association de jeunes bénévoles affiliée à l'union Rempart s'intéressa au fort Marie-Christine et entreprit des travaux de déblaiement et de réfection de toiture. Quelques années plus tard, la commune se rendit propriétaire de l'édifice et en accepta le classement au titre des Monuments Historiques.

 

Restauration et développement local

Le patrimoine monumental de la région Rhônes-Alpes constituent un gisement insuffisamment exploité ; le patrimoine militaire alpin en est une illustration flagrante. Présent tout le long de la frontiére est, depuis Nice jusqu'à Genéve, largement méconnu, parfois totalement à l'abandon depuis des décennies, il constitue pourtant une trace fondamentale de notre histoire et fait partie de notre identité.

L'effort actuel de réhabilitation et de réappropriation de ce patrimoine se situe dans un contexte plus général d'aménagement du territoire, au service du développement local. Dans cette problématique, le patrimoine peut devenir un outil de développement économique dans le cadre d'un nouveau tourisme de découverte et de promenade, et induire quelques emplois dans les domaines de formation, de l'animation ...

Néanmoins, ce type de patrimoine présente des difficultés trés particuliéres : ces vastes ouvrages militaires souvent isolés, aux caractéristiques fonctionnelles bien spécifiques, offrent un aspect austére, fermé, et semblent repliés sur eux-mêmes. Si leur restauration ne pose aucun probléme technique particulier, leur réuilisation, en revanche, est parfois difficile.

La restauration des Forts de l'Esseillon s'inscrit donc dans un vaste programme, dont la réutilisation du fort Marie-Christine en 1987 constitue la première étape.